Le projet de Partenariat Transpacifique : les universitaires sont-ils
trop complaisants?
Récemment le Président de l’UPA, M. Marcel Groleau accusait
certains analystes du commerce international de manquer de rigueur. Force est
de constater que concernant le projet de Partenariat Transpacifique, certains
de mes collègues québécois et canadiens sont d’un très grand enthousiasme.
Il
va sans dire qu’il s’agit d’un projet ambitieux et d’importance. Toutefois, je
me questionne également sur certains propos jovialistes du fait que nous avons
bien peu d’informations avec lesquelles travailler, du moins pour l’instant. Je
n’ai rien contre l’enthousiasme, notamment en ces temps difficiles dans les
universités québécoises, austérité oblige nous dit-on.
Il semble toutefois que certains collègues aient comme
prémisse de départ que tout projet de libéralisation des échanges est
nécessairement positif. Il ne resterait alors qu’à mesurer les gains. Comme
universitaire, je trouve cette approche inquiétante puisque le chercheur se
prive ainsi d’un univers de possibilités, soit celui des impacts négatifs.
Cet optimisme incite logiquement à suggérer l’élimination
des obstacles perçus, telle la gestion de l’offre en agriculture. Il est
compréhensible que toutes personnes ayant un minimum de formation en économique
soient réfractaires à la gestion de l’offre. En effet, cet outil limite la
production à la demande qui existe, et ce, à un prix permettant aux producteurs
de couvrir leurs coûts de production. De plus, pour que ce mécanisme
fonctionne, le Canada doit limiter significativement les importations.
À la lecture de cette courte description, la première
réaction est que cela ne semble pas être une bonne affaire pour les
consommateurs canadiens. N’y a-t-il pas d’ailleurs une pléiade d’études qui
indique que les familles canadiennes économiseraient des centaines de dollars
par an si ce système, qui semble d’une ère communiste, était simplement
éliminé? Les producteurs, eux, en revanche expliquent que dans le marché laitier
canadien il n’y a que trois grands acheteurs qui sont des multinationales, que
ceux qui veulent nous vendre, notamment les Américains, sont subventionnés et
que le prix d’un panier laitier canadien est souvent moins cher au Canada
qu’aux États-Unis, surtout quand notre dollar est plus faible que celui des Américains.
La réalité est malheureusement fort complexe. Je constate
néanmoins que la majorité des études qui nous promettent des économies à
l’épicerie reposent sur deux hypothèses qui ont, disons-le, peu de sens. La
première est que les produits laitiers seraient vendus au prix mondial,
c’est-à-dire à un prix plus faible que celui aux États-Unis. La deuxième serait
que chaque dollar de réduction du prix à la ferme serait un dollar de moins de
payés par le consommateur. Ceci semble faire abstraction des marges des
intermédiaires et du fait que de nombreuses études empiriques indiquent le
contraire.
Effectivement, les produits laitiers sont généralement plus
dispendieux au Québec qu’aux États-Unis.
Toutefois, d’expliquer cet écart
uniquement par la présence de la gestion de l’offre au Canada me semble
réducteur. De façon exploratoire, en comparant les prix de deux supermarchés ayant
un environnement similaire, je constate que de nombreuses denrées semblent plus
chères chez nous. Les prix qui suivent datent de mars 2014 et indiquent que le
bœuf haché maigre était 35% plus cher au Québec, les côtelettes de porc sans os
(du Québec?) 135% moins dispendieux aux États-Unis, le Ketchup Heinz 86% plus
cher au Québec et un Toyota Rav4 fait en Ontario coûtait 7000$ de plus au
Québec (avant taxes). Prédire un prix de détail pour les produits laitiers suivant
un démantèlement de la gestion de l’offre semble donc hasardeux. Toutefois, les
données réelles et un minimum de connaissances des mécanismes de prix dans le
secteur de l’alimentation invitent au scepticisme devant les économies
promises.
Il y a également lieu de se questionner à savoir pourquoi la
gestion de l’offre a été mise en place dans un premier temps. Ce mécanisme est
une réponse à des problèmes de marché qui existent encore aujourd’hui.
L’analyse des secteurs sous gestion de l’offre ne peut se faire sur la base de
quelques grands principes tirés du manuel d’économie de base, elle requiert une
analyse économique plus fine. À cet effet, nous avons réalisé une étude sur la
perception des économistes canadiens sur la gestion de l’offre[1].
Plus de 400 économistes de partout au pays ont participé. De ce nombre, 51% ont
une opinion défavorable, 6% n’ont pas d’opinion et 43% ont une opinion
favorable. Parmi les facteurs mesurés ayant le plus d’impact, notons le niveau
de spécialisation, le niveau de connaissance appliquée de la gestion de l’offre
et la vision de l’économie. Plus spécifiquement, plus un économiste a travaillé
dans un secteur précis de l’économie (spécialisation), plus un économiste
connaît les détails du mécanisme qu’est la gestion de l’offre et plus un
économiste pense que des imperfections et des problèmes de marché existent
(soit que le marché laissé à lui-même connaît souvent des ratés), alors plus
les probabilités sont grandes que cet économiste soit favorable à la gestion de
l’offre.
Ces résultats sont éloquents et font écho à l’économiste
anglais Tim Harford qui dénonce le «God Complex» qui afflige certains
économistes qui ont une opinion ferme sur un sujet qu’ils n’ont pas pris la
peine de maîtriser.
Prendre publiquement position sur un sujet tel le
Partenariat Transpacifique est certainement le rôle des universitaires.
Admettre les limites de nos analyses et considérer que nous puissions être dans
l’erreur est, selon moi, à la base d’une démarche universitaire saine et
crédible.
[1]
Julien Garneau, Maurice Doyon et Pierre Beaudoin http://profdoyon.blogspot.ca/2015/01/comment-les-economistes-percoivent-ils.html