mardi 25 août 2015



Le projet de Partenariat Transpacifique : les universitaires sont-ils trop complaisants?

Récemment le Président de l’UPA, M. Marcel Groleau accusait certains analystes du commerce international de manquer de rigueur. Force est de constater que concernant le projet de Partenariat Transpacifique, certains de mes collègues québécois et canadiens sont d’un très grand enthousiasme. 

Il va sans dire qu’il s’agit d’un projet ambitieux et d’importance. Toutefois, je me questionne également sur certains propos jovialistes du fait que nous avons bien peu d’informations avec lesquelles travailler, du moins pour l’instant. Je n’ai rien contre l’enthousiasme, notamment en ces temps difficiles dans les universités québécoises, austérité oblige nous dit-on. 

Il semble toutefois que certains collègues aient comme prémisse de départ que tout projet de libéralisation des échanges est nécessairement positif. Il ne resterait alors qu’à mesurer les gains. Comme universitaire, je trouve cette approche inquiétante puisque le chercheur se prive ainsi d’un univers de possibilités, soit celui des impacts négatifs. 

Cet optimisme incite logiquement à suggérer l’élimination des obstacles perçus, telle la gestion de l’offre en agriculture. Il est compréhensible que toutes personnes ayant un minimum de formation en économique soient réfractaires à la gestion de l’offre. En effet, cet outil limite la production à la demande qui existe, et ce, à un prix permettant aux producteurs de couvrir leurs coûts de production. De plus, pour que ce mécanisme fonctionne, le Canada doit limiter significativement les importations. 

À la lecture de cette courte description, la première réaction est que cela ne semble pas être une bonne affaire pour les consommateurs canadiens. N’y a-t-il pas d’ailleurs une pléiade d’études qui indique que les familles canadiennes économiseraient des centaines de dollars par an si ce système, qui semble d’une ère communiste, était simplement éliminé? Les producteurs, eux, en revanche expliquent que dans le marché laitier canadien il n’y a que trois grands acheteurs qui sont des multinationales, que ceux qui veulent nous vendre, notamment les Américains, sont subventionnés et que le prix d’un panier laitier canadien est souvent moins cher au Canada qu’aux États-Unis, surtout quand notre dollar est plus faible que celui des Américains.

La réalité est malheureusement fort complexe. Je constate néanmoins que la majorité des études qui nous promettent des économies à l’épicerie reposent sur deux hypothèses qui ont, disons-le, peu de sens. La première est que les produits laitiers seraient vendus au prix mondial, c’est-à-dire à un prix plus faible que celui aux États-Unis. La deuxième serait que chaque dollar de réduction du prix à la ferme serait un dollar de moins de payés par le consommateur. Ceci semble faire abstraction des marges des intermédiaires et du fait que de nombreuses études empiriques indiquent le contraire.
Effectivement, les produits laitiers sont généralement plus dispendieux au Québec qu’aux États-Unis. 

Toutefois, d’expliquer cet écart uniquement par la présence de la gestion de l’offre au Canada me semble réducteur. De façon exploratoire, en comparant les prix de deux supermarchés ayant un environnement similaire, je constate que de nombreuses denrées semblent plus chères chez nous. Les prix qui suivent datent de mars 2014 et indiquent que le bœuf haché maigre était 35% plus cher au Québec, les côtelettes de porc sans os (du Québec?) 135% moins dispendieux aux États-Unis, le Ketchup Heinz 86% plus cher au Québec et un Toyota Rav4 fait en Ontario coûtait 7000$ de plus au Québec (avant taxes). Prédire un prix de détail pour les produits laitiers suivant un démantèlement de la gestion de l’offre semble donc hasardeux. Toutefois, les données réelles et un minimum de connaissances des mécanismes de prix dans le secteur de l’alimentation invitent au scepticisme devant les économies promises. 

Il y a également lieu de se questionner à savoir pourquoi la gestion de l’offre a été mise en place dans un premier temps. Ce mécanisme est une réponse à des problèmes de marché qui existent encore aujourd’hui. L’analyse des secteurs sous gestion de l’offre ne peut se faire sur la base de quelques grands principes tirés du manuel d’économie de base, elle requiert une analyse économique plus fine. À cet effet, nous avons réalisé une étude sur la perception des économistes canadiens sur la gestion de l’offre[1]. Plus de 400 économistes de partout au pays ont participé. De ce nombre, 51% ont une opinion défavorable, 6% n’ont pas d’opinion et 43% ont une opinion favorable. Parmi les facteurs mesurés ayant le plus d’impact, notons le niveau de spécialisation, le niveau de connaissance appliquée de la gestion de l’offre et la vision de l’économie. Plus spécifiquement, plus un économiste a travaillé dans un secteur précis de l’économie (spécialisation), plus un économiste connaît les détails du mécanisme qu’est la gestion de l’offre et plus un économiste pense que des imperfections et des problèmes de marché existent (soit que le marché laissé à lui-même connaît souvent des ratés), alors plus les probabilités sont grandes que cet économiste soit favorable à la gestion de l’offre.

Ces résultats sont éloquents et font écho à l’économiste anglais Tim Harford qui dénonce le «God Complex» qui afflige certains économistes qui ont une opinion ferme sur un sujet qu’ils n’ont pas pris la peine de maîtriser. 

Prendre publiquement position sur un sujet tel le Partenariat Transpacifique est certainement le rôle des universitaires. Admettre les limites de nos analyses et considérer que nous puissions être dans l’erreur est, selon moi, à la base d’une démarche universitaire saine et crédible.