Comment les économistes perçoivent-ils la gestion de l’offre?
Extrait du
mémoire de Julien Garneau sous la supervision des professeurs Maurice Doyon et Pierre
Beaudoin
Motivation de l’étude
La motivation de l’étude provient
du retour dans l’actualité du débat sur la gestion de l’offre. La signature de
l’Accord Canada-Européen et les négociations du Partenariat Trans Pacifique
remettent à l’avant-plan différents enjeux liés à la gestion de l’offre,
notamment suivant la publication de nombreux rapports d’économistes
défavorables à la gestion de l’offre. Bien que la couverture de presse soit
importante, il semble s’agir de l’opinion d’un groupe restreint, mais vocal. Cette couverture de presse reflète-t-elle
l’opinion des économistes au Canada? Cette opinion est-elle homogène,
majoritaire? Quels sont les éléments clés qui permettent la formation de cette
opinion?
Objectifs de l’étude
L’objectif de l’étude et de déterminer comment les
économistes perçoivent le système de gestion de l’offre, notamment dans le
secteur laitier canadien. Plus spécifiquement de :
1)
Sonder les économistes canadiens pour obtenir
leur perception sur la gestion de l’offre (large échantillon, pas
nécessairement représentatif);
2)
Créer une typologie d’économistes selon leur
perception vis-à-vis de la gestion de l’offre;
3)
Identifier les prémisses et variables qui
motivent l’attitude et l’opinion des économistes concernant la gestion de
l’offre.
Étapes méthodologiques
Pour répondre aux objectifs, l’étude se divise en 4 étapes:
1) Une
revue de littérature exhaustive pour répertorier les arguments
favorables et défavorables à la gestion de l’offre et détailler les points qui
soutiennent ces arguments. De plus, la revue de littérature explore les études économiques
ayant sondé l’opinion de professionnels afin de bonifier notre cadre analytique
et méthodologique
2) Réaliser
des
entrevues semi-dirigées (17) avec des économistes pour discuter de
la gestion de l’offre. Les entrevues ont un canevas de base pour s’assurer que
les points importants soient discutés. Toutefois, les questions sont ouvertes
et les répondants ont la latitude de discuter comment ils perçoivent la gestion
de l’offre en général et dans le secteur laitier canadien.
3) Construire
et administrer un
questionnaire avec un grand volume de répondants.
Le questionnaire s’inspire de la science des
méthodes d’évaluations et comprend des questions de type fermé. Le
questionnaire vise à recenser une variété d’opinions auprès d’un grand nombre d’économistes,
et non pas une représentativité statistique. Plus de 2000 économistes canadiens
ont été contactés et plus de 400 ont complété le questionnaire.
4) Analyser
les résultats du questionnaire avec différentes approches épistémologiques
et statistiques, notamment des analyses descriptives, factorielles et
économétriques (Logit). Des typologies ont été développées sur la base des
perceptions des économistes vis-à-vis de la gestion de l’offre dans le secteur
laitier canadien.
Le questionnaire
Le développement du questionnaire a été effectué à partir
des 17 entrevues semi-dirigées et des résultats de la revue de la littérature.
Il a fait l’objet de nombreux prétests et de discussions avec l’équipe de
sondeurs professionnels qui a administré le sondage. Les questions peuvent être
regroupées en cinq sections.
1)
Connaissance
perçue de la gestion de l’offre : Cette section vise à déterminer les
sources d’informations et à mesurer le niveau de connaissance perçue que les
économistes ont de la gestion de l’offre.
2)
Opinion
d’économie générale : Cette section à vise connaître la vision et/ou
philosophie économique des économistes pour des sujets généraux.
3)
Opinion
d’économie agricole : Cette section vise à connaître la vision et/ou
philosophie économique des économistes pour des sujets agricoles. En effet,
certains économistes peuvent avoir une vision différente de l’économie agricole
(exception agricole).
4)
Opinion
sur la gestion de l’offre : Cette section vise à connaître différents
éléments de perceptions concernant la gestion de l’offre dans le secteur
laitier canadien.
5)
Caractéristiques
reliées à l’expertise : Cette section vise à recenser les éléments
clés reliés à l’expertise des économistes et le type de travail qu’ils font.
Cadre analytique
et/ou théorique
L’étude utilise deux cadres analytiques pour investiguer la
perception des économistes vis-à-vis de la gestion de l’offre.
1) Théorie économique : La présente
étude considère que les économistes, par définition, utilisent la théorie
économique comme outil analytique. Toutefois, le degré d’application de
certaines prémisses intrinsèques à la théorie et l’intégration de la nouvelle
économie dans la théorie néoclassique est la principale source de
différentiation des économistes.
2) L’attitude et l’opinion : Pour
investiguer les perceptions des économistes vis-à-vis de la gestion de l’offre,
le concept d’attitude et d’opinion ont été emprunté à la psychologie pour créer
des instruments de mesure qui vise à connaître ce que les économistes pensent
et perçoivent de la gestion de l’offre. Dans le cadre de la présente étude,
l’attitude
est associée à une échelle qui mesure à quel niveau un économiste est favorable
à différents énoncés associés à la gestion de l’offre.
L’opinion quant à
lui correspond au fait d’être en accord ou en désaccord avec la gestion de
l’offre.
Variables indicielles
(scores)
À partir des résultats aux questions provenant des cinq
sections, six variables indicielles sont créées aux fins de l’analyse.
·
Le score de connaissance perçue;
·
Le score d’hétérodoxie économique générale;
·
Le score d’hétérodoxie économique agricole;
·
Le score d’attitude envers la gestion de l’offre;
·
Le score de l’attitude envers le soutien de la
multifonctionnalité;
·
Le score du niveau de connaissance appliquée
envers la gestion de l’offre.
Analyse descriptive
L’analyse descriptive présente et
résume les caractéristiques de l’échantillon. Tout d’abord, l’échantillon est
composé de 427 économistes de partout au Canada. Nous comptons toutefois une
possible surreprésentation d’économistes québécois et d’économistes du monde
académique. Parmi les répondants, 43% favorables à la gestion de l’offre, 51%
sont défavorables et 6% n’ont pas d’opinion sur le sujet.
Le tableau 1 présente les caractéristiques
sociodémographiques de l’échantillon. Nous constatons que l’échantillon se
compose à 77% d’homme, que les Québécois comptent pour près de la moitié de
l’échantillon, qu’en moyenne les économistes questionnés ont 23 ans
d’expérience de travail, que 43% ont un doctorat et que plus du tiers (39%) ont
un diplôme en agroéconomie.
Tableau 1 :
Variables sociodémographiques de l’échantillon
Variables sociodémographiques
|
% ou années
|
Expérience
|
23 ans
|
|
|
Agroéconomiste
|
39%
|
|
|
Académique
|
44%
|
|
|
Macroéconomiste
|
33%
|
|
|
Dernier
diplôme baccalauréat
|
22%
|
Dernier diplôme maîtrise
|
35%
|
Dernier
diplôme doctorat
|
43%
|
|
|
Féminin
|
23%
|
|
|
Colombie-Britannique
|
7%
|
Ouest
|
12%
|
Ontario
|
32%
|
Québec
|
47%
|
Atlantique
|
3%
|
Typologie
d’économistes
L’analyse des résultats a permis d’identifier 5 typologies
d’économistes quant à leur perception vis-à-vis de la gestion de l’offre. Notons
qu’une typologie a également été créée par défaut pour les participants qui ont
essentiellement répondu de façon neutre à la majorité des questions. Ce groupe
porte donc, à juste titre, celui des sans opinion.
1) Libéral
Théorique (LT): Le
libéral théorique représente 24% de l’échantillon et a une opinion défavorable
envers la gestion de l’offre. Il est orthodoxe d’un point de vue d’économie
générale et agricole.
Il a une attitude
négative envers la justification d’intervention du gouvernement pour des
raisons de multifonctionnalité agricole. Selon lui, il n’y a pas lieu d’intervenir
puisqu’il n’y a pas de problème de marché. Plus spécifiquement :
- Forte connaissance perçue, mais la plus faible
connaissance appliquée de la gestion de l’offre;
- La plus forte proportion de généralistes, la
plus faible proportion de femmes et les économistes les plus âgés de
l’échantillon;
- Faible proportion d’agroéconomistes avec 25%
versus 39% (échantillon);
- Forte proportion d’académiques avec 64%
comparativement à 44% (échantillon);
- Faible proportion de Québécois avec 30% comparativement
à 47% (échantillon);
- Le plus faible pourcentage d’experts du secteur
laitier, 6% comparativement à 13% pour l’échantillon total.
2) Libéral
Pragmatique (LP) : Le
libéral pragmatique représente 17% de l’échantillon et a une opinion défavorable
envers la gestion de l’offre. Il est orthodoxe d’un point de vue d’économie
générale, mais il est hétérodoxe d’un point de vue agricole (exception
agricole). Il a une attitude négative envers la justification d’intervention du
gouvernement pour des raisons de multifonctionnalité agricole. Selon lui, si la
gestion de l’offre est éliminée, elle devra être remplacée par un autre
mécanisme. Plus spécifiquement :
- Faible connaissance perçue et appliquée de la
gestion de l’offre;
- Faible proportion d’agroéconomistes avec 24% par
rapport à 39% (échantillon) et forte proportion de généralistes;
- Proportion élevée d’académiques avec 52%
comparativement à 44% (échantillon);
- Plus faible proportion de Québécois avec 35%
comparativement à 47% (échantillon) et la plus forte proportion d’Ontariens (41%);
- Le plus faible pourcentage d’experts du secteur
laitier, 6% comparativement à 13% pour l’échantillon total.
3) Cynique
(C) : Le cynique représente
10% de l’échantillon et a une opinion défavorable envers la gestion de l’offre.
Toutefois, il est hétérodoxe d’un point de vue économie générale et agricole. Il
a une attitude négative envers la justification d’intervention du gouvernement
pour des raisons de multifonctionnalité agricole. Selon lui, les problèmes de
marchés existent, mais l’intervention gouvernementale n’est pas souhaitable. Plus
spécifiquement :
- La plus faible connaissance perçue de la gestion
de l’offre, mais bon niveau de connaissance appliquée;
- La plus faible proportion d’agroéconomistes avec
18% par rapport à 39% (échantillon);
- La proportion la plus élevée d’académiques avec
78% comparativement à 44% pour l’échantillon total, mais forte proportion de
spécialistes;
- Forte proportion d’hommes avec 87% par rapport à
l’échantillon (77%);
- La plus faible proportion de Québécois avec 27%
comparativement à 47% (échantillon);
- Le pourcentage d’experts du secteur laitier est de 7% comparativement à 13% pour
l’échantillon total.
4) Interventionniste
pragmatique (IP) : L’interventionniste
pragmatique représente 26 % de l’échantillon et a une opinion favorable sur la
gestion de l’offre. Il est orthodoxe d’un point de vue d’économie générale,
mais hétérodoxe du point de vue de l’économie agricole. Il a une attitude
positive envers la justification d’intervention du gouvernement pour des
raisons de multifonctionnalité agricole. Selon lui, si la gestion de l’offre
est éliminée, elle devra être remplacée par un autre mécanisme. Plus
spécifiquement :
- La plus forte (ex aequo) connaissance perçue et
forte connaissance appliquée de la gestion de l’offre;
- La plus forte proportion d’agroéconomistes avec
60% par rapport à 39% (échantillon), forte proportion d’économistes
spécialistes, forte proportion de jeune et de femme;
- La plus faible proportion d’académiques avec 17%
comparativement à 44% (échantillon);
- La plus forte proportion de Québécois avec
65% (ex aequo) comparativement à 47%
pour l’échantillon total et plus faible proportion d’Ontariens (25%);
- Le pourcentage d’experts du secteur laitier est
de 22% comparativement à 13% pour l’échantillon total.
5) Interventionniste
(I) : L’interventionniste
représente 18% de l’échantillon et a une opinion favorable à la gestion de
l’offre Il a une attitude positive envers la justification d’intervention du
gouvernement pour des raisons de multifonctionnalité agricole.
Selon lui, si la gestion de l’offre est
éliminée, elle devra être remplacée par un autre mécanisme. Plus
spécifiquement :
- La plus forte (ex aequo) connaissance perçue et
appliquée de la gestion de l’offre;
- Forte proportion d’agroéconomistes avec 59% et la plus forte proportion d’économistes
spécialisés;
- Faible proportion d’académiques avec 28% et la
plus forte proportion de jeunes économistes et de femmes avec 39% par rapport à
l’échantillon total avec 23%;
- La plus forte proportion de Québécois avec
65% (ex aequo) comparativement à 47%;
- Le pourcentage d’experts du secteur laitier est de 23% comparativement à 13% pour
l’échantillon total.
6) Sans Opinion (SO) : Le sans opinion
représente 5% de l’échantillon et n’a pas d’opinion sur la gestion de l’offre.
Il tend à répondre au milieu des échelles de Likert pour les différents
énoncés. Il n’y a donc pas de tendances qui se dégagent. Plus
spécifiquement :
Les facteurs qui affectent
l’attitude envers la gestion de l’offre sont donc :
L’interprétation des résultats du modèle Logit qui nous
donnent les effets marginaux des variables sur l’opinion envers la gestion de
l’offre.
Variables
significatives avec un impact significatif
·
Augmenter l’orthodoxie économique agricole d’un
point (sur 7) réduit de 17% la probabilité d’être favorable à la gestion de
l’offre. C’est la variable qui a le plus d’impact.
·
Augmenter l’attitude envers l’intervention du
gouvernement pour la multifonctionnalité agricole d’un point (sur 7) augmente
la probabilité de 16% d’être favorable à la gestion de l’offre.
·
Augmenter la connaissance appliquée de la
gestion de l’offre d’un point (sur 7) augmente de 13% la probabilité d’être
favorable à la gestion de l’offre.
·
Être dans le milieu académique réduit de 15% la
probabilité d’être favorable envers la gestion de l’offre.
·
Être un agroéconomiste augmente de 18% la
probabilité d’être favorable à la gestion de l’offre.
Discussion-Conclusion
Cette étude nous permet de constater
que bien que l’opinion concernant la gestion de l’offre soit dichotomique
(favorable ou défavorable), les attitudes et variables sous-jacentes à cette opinion
ne sont pas homogènes. Nous arrivons ainsi à définir cinq typologies
d’économistes selon leur opinion et attitude envers la gestion de l’offre (3
défavorables et 2 favorables).
Parmi les variables qui affectent
l’opinion sur la gestion de l’offre nous notons
- § L’orthodoxie
économique agricole
-
- § L’attitude
envers la multifonctionnalité agricole
-
- § La
connaissance appliquée de la gestion de l’offre
-
- §
Être dans le milieu académique
-
- §
Être un agroéconomiste